DOGBE, YVES-EMMANUEL

 

Le Miroir

Lomé : Editions Akpagnon, 2005

ISBN 2-86427-036-6

181 pages


Dans ce roman, Yves-Emmanuel Dogbé raconte les frasques amoureuses d’Adèle, secrétaire dans une société de Kalala—la ville lui servant de cadre. Tour à tour, elle rencontre Alex, professeur de collège, Nicolas, professeur d’université, Hervé, médecin, Didier, directeur de cabinet au Ministère de la Culture et devient leur maîtresse. Elle va même jusqu’à coucher avec Jules, un ami à Nicolas et aussi avec Paul, fiancé à sa meilleure amie, Jocelyne.

Et pourtant, Adèle a reçu une « bonne éducation » de sa mère avec qui elle vit et qui lui sert, tant qu’il se pouvait, d’instance morale en ce qui concernait ses relations avec les hommes. Lorsque celle-ci meurt, Adèle, licenciée de son travail, suite à la crise politique régnant dans le pays, n’a plus qu’à se laisser entretenir par ses différents amants. Elle devient ainsi l’objet de leurs caprices et certains se montrent même violents envers elles, conscients qu’ils sont indispensables à sa survie. Lorsqu’elle peut de nouveau travailler, elle décide de laisser tomber ses amants pour Nicolas avec qui elle se marie. Mais, ses sentiments d’ingratitude envers les anciens amants l’entraînent à leur céder régulièrement. Finalement pleine de remords pour Nicolas dont l’amour pour elle est grand et exclusif, Adèle se suicide.

L’histoire d’Adèle, apprend-on, se passe dans une société en crise politique, mais ceci n’est que suggéré. C’est dommage. Une attention plus soutenue à ce contexte aurait donné plus de densité au récit. On peut aussi regretter que ce soit la femme qui est condamnée au remords, qui paie les frais de la promiscuité sexuelle alors que les hommes s’en sortent allègrement, sans la moindre remise en question de leurs comportements.

Ce roman n’est certainement pas le meilleur qu’ait écrit Dogbé. Le dialogue y est souvent plat, la description et la narration peu inspirées. La réflexion philosophique avancée en quatrième de page comme trait caractéristique du roman est plutôt bon marché. Anisi, à propos du miroir qui donne son titre au roman on lit : « Elle [Adèle] a toujours pensé qu’un miroir est un objet particulier pour la conscience de l’homme. Tout individu a, en face du miroir, trois comportements. Il signale au narcissique qu’il est beau et bien fait comme il voudrait être. Il emplit de contentement, de fierté et d’assurance celui qui maîtrise ses moyens d’action et dont les performances lui donnent satisfaction. Mais lorsqu’on a mal agi, on a honte de se regarder dans son miroir, ce qui suppose qu’on ait conscience du mal. On n’est pas fier de soi. En revanche, lorsque vous êtes inconscient ou lorsque vous avez la conscience pervertie et que vous pensez que vos défauts sont des qualités, alors votre miroir ne vous renvoie que l’image de votre personnalité inconsciente et terne. L’autocensure et l’autojugement dont le miroir est l’instrument sont liés à la conscience du mal, à la conscience d’avoir fait ce que la morale collective réprouve et condamne. » (16-17).

On aurait souhaité que ce miroir—omniprésent dans la vie de l’héroïne et fonctionnant comme son directeur de conscience—fut tendu aussi aux hommes du roman.


Koffi Anyinefa -- Février 2010



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Abalo Essrom KATAROH
Yves-Emmanuel Dogbé. L’Homme et l’œuvre
Lomé : Editions Akpagnon, 1996
ISBN 2-86427-04-2
149 pages

Yves-Emmanuel Dogbé a été, avant les années 90 qui ont vu la venue sur la scène des Kossi Efoui, Kangni Alem, Sami Tchak, Théo Ananissoh, Edem Awumey, l’un des quelques rares écrivains à représenter les lettres togolaises. Romancier, poète, essayiste, il a été sans doute prolixe. C’est pourquoi une étude de son œuvre telle que la propose Abalo E. Kataroh ne peut paraître que justifiée.

L’étude se divise en deux parties (1. L’homme, la chronologie de la vie D’Yves-Emmanuel Dogbé de 1939 à 1990 (pp. 13-42) et 2. L’œuvre (pp. 128)), suivies d’une Annexe où le critique propose une petite anthologie de jugements divers portés sur l’œuvre de Dogbé (pp. 129-149), jugements somme toute très positifs. Une bibliographie chronologique des œuvres de Dogbé termine cette annexe. On trouvera aussi, parsemées à travers le texte, quelques photos de Dogbé et de sa famille.

La première partie de l’étude est probablement la plus intéressante, où nous découvrons l’homme que fut Dogbé. Il naît à Sa-Kopvé à une quinzaine de kilomètres d’Aneho le vendredi 11 mai 1939, échoue deux fois au CEPE avant de s’inscrire à une école anglaise à Aflao. La vocation mystique de Dogbé lui est probablement née de ces années ghanéennes où il découvre l’Eglise des Témoins de Jéhovah. Nous retrouvons Dogbé en 1959 à Porto-Novo comme enseignant, puis en 1967 en France où il entame des études supérieures. Il soutient, à la Sorbonne en 1973 une thèse, Négritude, culture et civilisation, rentre au Togo avec sa femme, Anne. Il est professeur au Lycée de Tokoin. Le 28 octobre 1976, il est arrêté, suite à la rédaction d’une communication « Civilisation noire et devenir de l’Afrique », destinée à être présentée au FESTAC de Lagos. Il est libéré en avril et s’exile en France.  Ce deuxième séjour en France sera pour Dogbé crucial. Il y publiera son œuvre littéraire peut-être la plus importante, notamment L’Incarcéré, un roman inspiré de son passage dans les geôles de feu Eyadéma, mais fondera aussi en 1979, sa propre maison d’éditions Akpagnon (du nom de son père), qui publiera la quasi-totalité de son œuvre. En août 1985, Dogbé rentre au Togo … avec la permission du Président Eyadéma.

Kataroh approche l’œuvre de Dogbé par la biogaphie. Bien que Kataroh défende le biographisme comme approche contre « les méthodes dites modernes » (125), il est légitime de se demander si elle n’est quand même pas un peu limitée, surtout qu’il y a dans l’œuvre de Dogbé bien plus de choses que sa propre vie. La littérarité de l’œuvre, à part quelques rapides évocations de certains thèmes socio-politiques, a ainsi cédé la priorité à la vision du monde de l’écrivain. Ce qui donne à son entreprise dans cette deuxième partie, un caractère hagiographique surtout que la vision du monde de l’écrivain qui nous est proposée est avant tout caractérisée par le mysticisme de l’écrivain. Et c’est rarement que Kataroh est critique vis-à-vis de Dogbé et de son œuvre. Ceci ne surprend pas. Dogbé est-il réellement le grand écrivain africain qui nous est présenté ? Peut-être. Mais que cette étude ait été publiée par Akpagnon entache sans doute un peu la valeur de celle-ci, du reste aussi des textes de l’écrivain dont la maison d’éditions a sorti la quasi-totalité des ses propres textes.


Koffi Anyinefa – Décembre 2009