AKOFA, HENRIETTE

 

(Avec la collaboration d’Olivier de Broca)

Une Esclave moderne

Paris: Michel Lafon, 2000

ISBN : 2-84098-548-9

212 pages


Henriette Akofa fut au centre d’un scandale domestique en France en 1998 lorsque son histoire a été révélée par les médias : elle vivait depuis plus de quatre ans illégalement à Paris comme domestique dans une famille française. Une esclave moderne, divisé en trois parties, est avant tout le récit de cette expérience.

Dans la première partie, « Togo » (pp. 11-50), Henriette raconte son enfance passée à Sokodé puis à Lomé parmi ses nombreux frères et sœurs. Les seules ombres à cette enfance relativement aisée sont sans doute la mort prématurée d’un frère et d’une sœur aînés et les escapades conjugales d’un père qui ramenait à la maison, au gré de ses humeurs, nouvelles épouses ou maîtresses, demi-frères et sœurs. En fait, on peut expliquer l’exil en France d’Henriette comme une conséquence directe de ces problèmes : si c’est Simone, la sœur d’une des maîtresses du père qui arrange son départ pour la France, c’est sur l’insistance de la protagoniste elle-même que les parents acceptent de la laisser partir. C’est qu’Henriette, d’ailleurs comme sa mère, était convaincue qu’un malheur—ou peut-être le mauvais œil des co-épouses de la mère— pesait sur la famille (du moins c’est ainsi qu’elle s’explique la  mort de ses aînés), et qu’elle serait la prochaine victime si elle ne s’en éloignait pas. C’est pourquoi elle saute sur l’occasion d’aller en France, sans compter tout ce que ce voyage symbolisait et promettait (capital social, voire économique, éducation). Mais comme on pouvait s’y attendre, le rêve se transforme rapidement en cauchemar.

Une fois en France, Henriette devient bonne à tout faire pour Simone. Celle-ci, après quelques mois, la relègue aux Calmar qui l’exploitent et la maltraitent à leur tour. C’est « Tête basse » (le titre de la deuxième partie, pp. 51-196) qu’elle vit à Paris. Les rébellions de l’adolescente, l’appel au secours lancé à son père n’y feront rien. Son calvaire continue. Elle se résigne à sa condition et contemple même le suicide. Ce n’est que lorsqu’elle se confie à une voisine danoise, qui à son tour contacte le Comité contre l’esclavage domestique, qu’elle parvient finalement à échapper à l’ « esclavage » des Calmar.

Henriette réapprend la liberté dans la dernière partie du texte, « Paris tête haute » (pp. 197-212) qui voit les Calmar condamnés. C’est aussi l’occasion pour elle de se faire la voix de toutes les jeunes filles ou femmes-esclaves de France et de saluer le travail du Comité contre l’esclave domestique.

Il ne fait pas de doute que le témoignage d’Akofa est très important. A ma connaissance, c’est le premier texte autobiographique francophone africain sur l’esclavage domestique. Evidemment, il y a eu « La noire… de » de Sembène Ousmane dont on trouve du reste quelques échos chez Akofa, mais cette nouvelle dont l’auteur sénégalais a tiré un film du même nom est fictif. Si, comme chez l’auteur sénégalais, l’histoire d’Akofa se passe dans sa plus grande partie en France, ajoutant ainsi la dimension de l’immigration à la question du « placement » d’enfants africains auprès de familles plus aisées que les leurs, la question est tout autant d’actualité en Afrique. D’ailleurs, au Togo, c’est une pratique quasi banale comme on le sait. Dans ce sens, on lira aussi avec intérêt Journal d’une bonne (2002) de Dissirama Boutora-Takpa.

La maltraitance des enfants est un problème social grave en Afrique et il est important qu’on en prenne conscience. Un témoignage comme celui d’Akofa y contribue certainement. Ceci dit, le contexte dans lequel il a paru pose des problèmes d’autre types. Par exemple, Akofa a écrit son texte avec la collaboration d’Olivier de Broca. L’histoire est indéniablement la sienne, mais quelle a été sa responsabilité dans la rédaction du témoignage ? Par ailleurs, ce texte a été précédé  d’une campagne médiatique de l’histoire de la protagoniste. Quel a été l’effet sur sa publication et sa réception ? Son grand succès de librairie (le texte, traduit en plusieurs langues européennes est aujourd’hui épuisé) ne trahit-t-il pas plutôt un certain goût de l’exotisme? Sans compter que le témoignage d’Akofa est aussi l’histoire de deux couples mixtes (les femmes, d’origine africaine, les tortionnaires d’Henriette, sont dominantes alors que leurs maris sont mous), l’esclavage domestique deviendrait ainsi l’un de ces maux « africains » que les immigrés apportent avec eux, comme l’excision ou le mariage forcé devenus depuis des sujets privilégiés de témoignages très populaires en France.


Koffi Anyinefa – Octobre 2008